Chercher la langue

L'enquête linguistique à Neuchâtel, du début du 20e siècle à nos jours

Anecdotes et curiosités

Depuis plus d’un siècle, à Neuchâtel, des chercheurs enquêtent auprès de la population de Suisse romande. Si les méthodes de travail des linguistes sont restées les mêmes sur le fond, elles ont beaucoup évolué sur la forme au fil du temps : de l’envoi postal de fiches rédigées à la main par des citoyens quasi anonymes, en passant par des enregistrements audios puis vidéos réalisés sur place, pour aboutir à la récolte de données via des smartphones.

Cette section propose un petit panorama non exhaustif (et évolutif) d’anecdotes, de curiosités et de petites informations brèves concernant les différents projets présentés dans le cycle de conférences.

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Carnet d’enquêtes

Divers modes d’enquêtes visant à récolter la variation du français ont vu le jour il y a deux siècles.

Dans ce cadre, une des curiosités datant du début du 19e siècle consiste en un petit carnet de 20 pages intitulé : « Nouveau dictionnaire contenant un recueil des meilleurs mots français en usage à présent parmi le beau monde ».

Le titre est ironique, puisqu’il servait à Jean Humbert, pasteur et orientaliste de Genève, à s’amuser dans les soirées mondaines aux dépends de ses amis et, peut-être surtout, de ses ennemis.

Le carnet d’enquêtes d’en question, plus petit qu’un Natel, devait aisément tenir dans une poche de gilet et être sorti, en toute discrétion, afin de noter à la volée les paroles de la bonne société dont il souhaitait se moquer.

Cette anecdote est en rapport avec la conférence n°2 “La recherche d’un français régional sans complexes”

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Indics et brigade des stupéfiants

Pour chercher la langue là où elle se trouve, un auteur genevois de la deuxième moitié du 19e siècle collectionne les coupures de journaux et les citations d’auteurs. Jean-Daniel Blavignac, architecte, historien et archéologue, part à la recherche des mots et des choses, dans un même mouvement à la fois chaotique et scrupuleux. Son manuscrit composé de feuilles volantes, de collages de passages autographes ou imprimés découpés selon des lois que lui seul connaît, n’a pas été publié.

Sans s’arrêter aux mots régionaux, son Glossaire genevois contient des informations sur les habitudes et les mœurs de Genève, qu’il met en lien avec le monde.

Des témoignages d’auteurs ayant voyagé hors de nos frontières nous apprennent ainsi que le Genevois, amateur d’absinthe, n’est pas le seul à prendre un apéritif local avant de passer à table afin d’exciter son appétit. Et c’est dans la presse de mai 1865 que Blavignac a trouvé un contrepoison pour limiter les effets néfastes de cette boisson: il faut «la ferrer» en y plongeant un fer rougi à blanc afin de faire s’évaporer «le poison».

L’informateur est un quotidien genevois, bien nommé «l’Indicateur du Léman».

Cette anecdote est en rapport avec la conférence n°2 “La recherche d’un français régional sans complexes”

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Dénonciation et complicité

James-Henri Bonhôte, archiviste et bibliothécaire de la ville de Neuchâtel dans le dernier quart du 19e siècle, collectionne de façon tout à fait sérieuse les écarts de langue de ses compatriotes par rapport au français donné comme modèle : celui des dictionnaires et des grammaires. Dans son Glossaire neuchâtelois de 1867, il note donc avec application ce qu’il a entendu autour de lui et qui s’éloigne du code du bien dire.

Plusieurs de ses contemporains ont fait de même, ailleurs en Suisse romande, avant ou après lui. Tous ces auteurs transmettent un avis sur la langue qu’ils décrivent, et certains d’entre eux sont à la fois critiques et tolérants face à ces écarts. Tout comme Bonhôte, ils se positionnent alors entre dénonciation et complicité.

Selon des critères bien précis, parmi lesquels figurent l’utilité d’un terme en l’absence d’équivalent en français de référence, son énergie, son histoire, un choix va être opéré : une partie de ces formulations est validée, l’autre définitivement condamnée.

Tandis que faire la causette est gracié pour bonne conduite, causer à quelqu’un ne peut être sauvé, malgré la collaboration de Rousseau.

Cette anecdote est en rapport avec la conférence n°2 “La recherche d’un français régional sans complexes”

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Description des faits

La plume de William Pierrehumbert, pionnier de la description du français parlé en Suisse romande, ne juge jamais et s’en tient à la description des faits. Dans son Dictionnaire du parler neuchâtelois et Suisse romand (1926), l’auteur note que l’emploi du mot adieu en Suisse romande n’est pas le même qu’en France, mais peu lui importe.

«En abordant ou en rencontrant une personne que l’on tutoie», écrit-il, «nous lui disons volontiers: Adieu ! adieu mon ami !, tandis qu’en France ce mot est réservé au moment du départ et se dit également aux gens auxquels on donne le vous».

Décrivant simplement l’usage sans chercher à le corriger ou à le présenter comme incongru, il chante une autre chanson que celle qui est dans l’air du temps, qui critique cet emploi: La Suisse est une bien étrange contrée, dit-on, où l’on se quitte avant de s’être rencontré.

Le portrait de William Pierrehumbert est accroché dans l’entrée du Glossaire des patois de la Suisse romande, institut où son œuvre est souvent consultée. Chacun peut ainsi le saluer, comme il le souhaite.

Cette anecdote est en rapport avec la conférence n°2 “La recherche d’un français régional sans complexes”

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Reconstitutions

À la fin des années soixante, deux rédacteurs du Glossaire des patois de la Suisse romande montent en voiture avec une vingtaine d’images à soumettre à la population. Ils vont sillonner les routes de Suisse romande et s’arrêter sur les places de marché de cent septante localités afin d’y chercher des exemples de français régional.

Ces reconstitutions de scènes, dignes parfois d’un croquis d’annonce de sinistre destiné à l’assurance, étaient accompagnées de questions visant à guider le témoin dans sa réponse mais sans l’influencer dans le choix du mot à donner.

«À droite: cet homme est fier de son beau tas de bois ! A gauche: patatras ! Qu’est-il arrivé à ce tas de bois ?»

Il s’est effondré, et s’est écroulé, il a dégingolé, serions-nous tenté de répondre. Mais ces verbes font-ils réellement honneur à ce qui s’est passé ? Il a déguillé, voilà peut-être un mot qui exprime bien cette chute en cascade. En plus, ce bois, il faut savoir que s’il est tombé, c’est qu’il a été préalablement aguillé, c’est-à-dire «mis en équilibre instable».

On l’aguille, il déguille. Que manque-t-il à cette famille ? Le fait que, finalement, on le raguille.

Le mouvement perpétuel se cache peut-être dans un tas de bois.

Cette anecdote est en rapport avec la conférence n°2 “La recherche d’un français régional sans complexes”

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Boîtes à chaussures

Au début du 20e siècle a eu lieu une grande enquête par correspondance : elle  a duré plus de dix ans et a eu pour but de récolter les patois parlé dans toute la Suisse romande.

En cours d’analyse, les résultats de cette enquête sont classés dans des boîtes à chaussures.

Dans un roman policier, c’est à ce stade du récit qu’interviendrait le médecin légiste. Mais pour le linguiste, il s’agit moins d’une petite morgue que de murs entiers de vie passée en attente d’être révélée : anecdotes, proverbes, moments racontés d’une époque où l’on riait, mangeait et aimait. Tout comme aujourd’hui, en somme.

L’envie peut prendre à celles et ceux qui contemplent les étiquettes évocatrices de ces boîtes de se raconter des histoires, se laissant bercer par les mots affichés.

Cette anecdote est en rapport avec la conférence n°1 “L’idéal d’un trésor linguistique partagé”

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Portrait robot

Une fois les boîtes ouvertes, on y découvre presque pêle-mêle (mais regroupées par mots et triées géographiquement) les réponses des personnes ayant accepté de d’être les témoins linguistiques de l’enquête par correspondance dont il était question dans le post précédent. 

En 1901, l’employé postal de Trient (Valais), qui n’a participé à cette enquête que pendant la toute première année, fait son propre portrait-robot en notant, de sa petite écriture : « Le facteur est fier de participer à écrire le Glossaire des patois de la Suisse romande ».

Sa conclusion reste énigmatique : « Oui ! Et puis quoi ??! », ajoute-il à la fin de sa fiche. Peut-être, mais quel joli coup de crayon !

Cette anecdote est en rapport avec la conférence n°1 “L’idéal d’un trésor linguistique partagé”

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Questionnaire

Les fiches dont il a été question dans le post précédent ont pu être récoltées grâce à des questionnaires, qui ont été envoyés chaque mois à environ 200 personnes sur tout le territoire romand. 

Un interrogatoire ciblé, précis, qui a duré onze ans. 

Tout ce qui formait alors le quotidien y est passé : le bétail, le temps, l’école, la cuisine, la forge et la boulangerie, mais aussi la respiration, le courage et la crainte, l’amour et la colère.

Et le besoin d’assouvir sa faim, cela va sans dire.

Cette anecdote est en rapport avec la conférence n°1 “L’idéal d’un trésor linguistique partagé”

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Graphologie

Un témoin du canton de Vaud répond ainsi au questionnaire concernant les repas et présenté dans le post précédent :

« On va souper ! » dit-il avec enthousiasme. 

Tout en précisant : « Celui-ci, de repas, était moins gai, moins attrayant : c’était nuit, et il fallait être à la maison et voir ses leçons pour le lendemain ou faire quelque chose d’utile au ménage ».

Cet instituteur de Penthalaz parle-t-il de ses souvenirs d’enfance ou des sentiments qu’il soupçonne chez ses élèves ?

En tous les cas, une chose est certaine : l’enquête linguistique côtoie parfois la graphologie…

Cette anecdote est en rapport avec la conférence n°1 “L’idéal d’un trésor linguistique partagé”

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Réalité ou mensonge?

Chercher la langue, c’est lire entre les lignes et tenter de détecter les faux témoignages. Dans les informations envoyées en réponse aux questionnaires du Glossaire, il faut parfois combler les lacunes que le témoin n’a pas jugé bon de transmettre, parce qu’il jugeait que cela coulait de source dans le contexte dans lequel il vivait.

« A Noël les moucherons, à Pâque les glaçons » dit le dicton météorologique que nous livre le patoisant de Châtel-Saint-Denis. Faut-il comprendre par là que s’il a fait chaud à Noël, il fera très froid à Pâques ?

Rendez-vous le 9 avril pour savoir s’il dit vrai !

Cette anecdote est en rapport avec la conférence n°1 “L’idéal d’un trésor linguistique partagé”

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Flagrant délit

Un rédacteur du Glossaire, s’étant rendu à Chermignon (Valais) pour questionner des témoins dans les années cinquante, est revenu chez lui avec un doute sur la manière dont on nommait la taupe dans ce village.

« Ce mot, dit-il, pourrait bien ne pas exister en ce sens. Il m’a été donné par un témoin à qui j’avais déjà posé beaucoup de questions, et qui paraissait en avoir assez. Je lui ai demandé comment dites-vous « taupe ». Elle m’aura répondu, pour se moquer de moi, en me donnait un mot signifiant « bavard, importun » (André Desponds).

Ne serait-ce pas un cas de flagrant délit ?

Cette anecdote est en rapport avec la conférence n°1 “L’idéal d’un trésor linguistique partagé”

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